Manifeste fondateur de Debout!
Retrouvez le manifeste en format PDF en cliquant iciLe « D » de Debout !
...c’est d’abord le « D » d’une Démocratie malmenée qu’il nous faut relever.Nous sommes démocrates, pour de bon. Après des décennies d’une «démocratie» sans le peuple, et même
contre le
peuple, telle est notre mission: redonner du pouvoir au peuple, le souverain.
Le peuple, c’est comme l’arbitre au foot, c’est l’arbitre de la Nation: il a toujours raison. Et quand
il a
tort,
il faut en comprendre les raisons. Comprendre d’abord, pour agir ensuite. C’est d’autant plus nécessaire
par les
temps présents: «peuple de gauche» est devenu un oxymore. Nous faisons le choix du peuple, de dire la
grandeur,
la peine, la fierté des vies populaires. Y compris dans leurs contradictions, que nous choisissons de
chevaucher
et non d’éviter. C’est une ligne de conduite, un état d’esprit.
Sur un Gilet jaune, il était écrit:
«Faire l’amour une fois tous les cinq ans, ce n’est pas une vie sexuelle. Voter une fois tous les cinq ans, ce
n’est pas une vie démocratique.»
À ce peuple, à cette démocratie, il faut offrir de nouveaux outils: le Référendum d’Initiative
Citoyenne, des
États généraux, des jurys populaires tirés au sort, des conventions citoyennes. La démocratie, c’est
aussi la
démocratie sociale, la démocratie du quotidien, la démocratie au travail, la démocratie à l’hôpital, la
démocratie
à l’école, c’est le droit à la parole, des lieux où décider ensemble. La démocratie, ce sont des médias,
dont
les
réseaux sociaux, qui doivent être «indépendants à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des
influences
étrangères», comme l’exigeait les Résistants à la Libération. Qui doivent être soucieux de pluralisme,
d’esprit
public, et non enfermant chacun dans la bulle de ses certitudes.
Le peuple qui tranche, qui décide, ce n’est pas le consommateur avec son chariot. Ce n’est pas le contribuable remplissant sa fiche d’impôt. Ce n’est pas même le travailleur dans son atelier ou son bureau. C’est le citoyen, qui est au-dessus d’eux, qui s’élève pour mêler, dans ses réflexions, dans ses convictions, son intérêt particulier, son intérêt de classe, à l’intérêt national, à l’intérêt général.
Ce n’est pas un peuple statique, sondagier. C’est un peuple en dynamique, éclairé. Éclairé par la science, par la recherche, éclairé par de l’information, éclairé par les arguments et les contre-arguments, c’est un peuple qui débat.
Les défis à relever, pour la France, ne sont pas simples: climatiques, industriels, énergétiques, démographiques, budgétaires, fiscaux. Ils sont faits de contradictions.
Nous portons, nous, une orientation, une orientation de rupture, de transformation profonde de la société. Mais nous ne disposons pas d’une baguette magique. Aucun programme parfait n’apportera clé en main toutes les solutions. Et alors, en dernier ressort, sur les grandes questions, qui engagent l’avenir de la Nation, ce sera toujours au peuple de trancher. Jamais nous n’aurons peur du peuple: pour nous, il ne sera jamais le problème mais toujours la solution.
Non par idéalisme, ou par romantisme. Mais par réalisme. Car seul le peuple, à qui la force sera rendue, peut nous sortir de l’enlisement, du marécage, du bourbier, où se trouve le pays. C’est le peuple qui, en 1789, a relevé le pays alors que la monarchie pataugeait. C’est le peuple qui a refusé le fascisme avant-guerre, qui s’est offert une embellie avec le Front populaire, qui a arraché les congés payés quand, partout en Europe, le ciel s’assombrissait. C’est le peuple qui a résisté, s’est retroussé les manches à la Libération, quand le pays était tombé au fond du fond. C’est le peuple d’ouvrières, de paysans, d’ingénieurs, d’électriciens, qui a rétabli notre souveraineté en une génération. C’est par le peuple qu’a été obtenue chaque grande avancée depuis: de la réduction du temps de travail aux droits des femmes en passant par la protection du vivant.
C’est le même élan, qu’il nous faut retrouver, la même volonté.
Il nous faut un peuple actif, dès maintenant, qui s’investit dans les communes, dans les syndicats, dans les associations: les citoyens-bénévoles s’y trouvent déjà par millions. Un peuple qui fait des efforts, ils sont nécessaires, pour retrouver une fierté, avec le réconfort à la clé: le droit au bonheur, à la joie, au beau, les vacances pour tous, pas un enfant qui ne voit la montagne ou la mer, la vie large, la musique, les arts, le sport, la poésie qui irriguent le pays. Comme l’énonçait Roosevelt durant la Grande Dépression, «c’est par l’âme aussi que se relève une Nation».
Le peuple dont nous parlons, c’est le peuple français. Un peuple qui inscrit son destin, bien sûr, avec ses voisins européens, auprès de peuples frères, avec qui nous partageons une histoire, des solidarités. Un peuple français qui noue des amitiés et des familles tout autour de la Méditerranée, la francophonie comme pont avec le monde entier, avec les peuples de partout. Un peuple français qui montre l’exemple, trace une voie singulière, irrigue le monde par sa force d’imaginaire. Mais l’intérêt que nous défendons, c’est d’abord l’intérêt national, l’intérêt du peuple français. Car c’est à lui, et à lui seul, que nous rendons des comptes.
Un peuple français, une Nation politique, dont l’acte de naissance est la Grande Révolution, et qui ne l’oublie pas. Quel imaginaire anime les Gilets jaunes? Eux se définissent comme «les nouveaux sans-culottes», s’opposent au «roi Macron et à sa Brigitte Marie-Antoinette», menacent de «reprendre la Bastille», ils ouvrent avec les maires des «cahiers de doléances», se réunissent à l’occasion en «États généraux», entonnent bien sûr La Marseillaise et agitent le drapeau bleu-blanc-rouge comme hier à Valmy.
Nous sommes les héritiers de 1789.
Et avant eux, des Lumières.
Nous devons y puiser notre force, en maintenir le souffle, en défendre et en étendre le message.
«’Les hommes naissent libres et égaux’, dites-vous. Et les femmes?», demandaient déjà Mary Wollstonecraft et ses consœurs. Et elles avaient raison.
«’Les hommes naissent libres et égaux’, dites-vous. Et les Noirs?», demandaient déjà Toussaint Louverture et ses frères d’armes. Et ils avaient raison.
«’Les hommes naissent libres et égaux’, dites-vous. Et les pauvres?», demandaient déjà Gracchus Babeuf et ses conjurés. Et ils avaient raison.
La magnifique Déclaration des Droits de l’Homme, elles, eux, et deux siècles de luttes nationales, de luttes d’indépendance, de luttes sociales, de luttes d’émancipation pour des droits nouveaux, partout dans le monde, ne la dénonçaient pas: ils s’appuyaient dessus pour l’élargir.
«Liberté égalité fraternité»: quelle belle devise! C’est un combat, toujours, pour en faire une réalité. C’est un combat permanent contre les forces de l’Argent. C’est un combat, également, contre les forces du monde d’Avant, les réactionnaires, qui n’aspirent qu’à un grand bond en arrière.
Le peuple dont nous parlons, c’est le peuple travailleur, des gens ordinaires qui ne sont dans aucun livre et qui pourtant font l’Histoire. Ces «gens qui ne sont rien» comme disait avec mépris Emmanuel Macron, mais qui font tout, qui ont tenu et tiennent le pays debout.
Le peuple dont nous parlons, c’est le peuple Debout contre toutes les injustices et les inégalités, qui ne tolère pas une humanité et une France divisée par le sexisme, le racisme, les discriminations. C’est un peuple qui toujours s’est levé pour des droits universels, qui voit dans l’Autre son semblable, qu’importe le genre, l’origine, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’appartenance religieuse.
Debout!, car c’est la Nation qu’il faut relever, qu’il faut redresser, tant nos dirigeants politiques, économiques, médiatiques, l’ont abaissée. Ils ont abaissé son budget, ils ont abaissé son industrie, ils ont abaissé sa puissance, ils ont abaissé son prestige à l’international, mais le pire, par-dessus tout, ils ont abaissé son moral, sa morale: un spectre hante la France, le manque d’idéal.
Voilà notre combat: pas seulement maintenir la flamme, elle brille déjà dans le cœur des Français. Mais qu’elle éclaire un chemin de progrès, qui part du passé et va vers demain, avec au cœur: l’humain. L’humain d’abord, de la naissance à la mort.
Debout contre un projet fou : la mondialisation
« Le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en voie de développement. »
- Gary Becker, économiste ultra-libéral, 1993.
Nous tenons la mondialisation comme le phénomène-clé des quarante dernières années. Cette mondialisation est loin d’être un phénomène naturel. Nos dirigeants ont choisi, voulu, construit ce projet fou, cette machine à détruire l’humanité et le vivant, signant des traités internationaux et européens. Par les révolutions du transport et des télécommunications, ils ont aboli les frontières pour les marchandises, les capitaux, les données, les flux financiers. Ils ont décrété la concurrence entre les travailleurs, les territoires, les législations afin de les mettre sous la coupe d’un seul maître: l’argent-roi.
L’effondrement de la base industrielle
D’où un grand déménagement du monde: les industries ont largement fui nos pays. Les multinationales ont fermé des sites ici, se sont implantées en Europe de l’Est et en Asie, s’y sont approvisionnées avec leurs sous-traitants. Dès les accords de Marrakech en 1994, la même logique est à l’œuvre dans l’agriculture. Ce sont les services, désormais, le design, la comptabilité, l’informatique, qui sont entrés dans la danse. Cette compétition généralisée a installé un impératif, quasiment existentiel, au cœur de nos sociétés: «Il faut être compétitif.»
Les classes populaires ont subi, subissent toujours, un choc violent: la base industrielle, qui offrait une sécurité de l’emploi, des salaires corrects, un comité d’entreprise, un treizième mois, de quoi prendre un crédit et s’installer dans la vie, cette base ne s’est pas effritée: elle s’est effondrée. Le socle a disparu. Il n’y a plus de protection, plus de stabilité, et s’est installé une inquiétude: quelle est ma place? Et sans doute pire encore: quelle est la place pour mes enfants?
Les quartiers populaires, adossés aux zones industrielles, ont pris cette secousse de plein fouet. Quand les emplois se sont raréfiés dans les usines, quand le goulot s’est resserré, qui en furent les premiers frappés? Les derniers arrivés. Les immigrés et leurs enfants. Dans les villes moyennes ou les bourgs ruraux, l’usine qui ferme c’est le coin qui se vide: de ses emplois, de ses commerces, de ses jeunes qui partent à la ville.
Le chômage chez les ouvriers a triplé. Tandis qu’il est resté stable dans les professions intermédiaires. Un divorce s’est alors creusé entre les deux cœurs sociologiques de la gauche, entre «prof» et «prolo», entre classes intermédiaires et classes populaires. N’étant pas frappés, les premiers ont accepté la mondialisation, sans enthousiasme, avec une forme de passivité. Tandis que les seconds, heurtés de plein fouet, refusaient franchement sa déclinaison continentale: l’Acte unique européen, Maastricht, les élargissements à l’Est, le Traité constitutionnel. Mais cette découpe, un peu sommaire, a depuis bougé: les ingénieures, les comptables, les designers, les développeurs sont entrés dans la grande lessiveuse de la concurrence à l’international, emplois «externalisables» en Inde ou ailleurs.
Par contre, au sommet, les dirigeants économiques, politiques, médiatiques, qui ont vanté cette «mondialisation heureuse», en tirent toujours un permanent profit.
Le travail comme un coût
Compétitivité oblige, le travail n’est perçu désormais que comme un coût et non comme un atout. Un coût à diminuer, à pressuriser. La précarité s’est imposée. Elle est devenue un point de passage obligatoire, et durable pour la jeunesse, endémique dans tout le monde du travail: CDD, intérim, CDI-intérimaire. Et dernièrement, l’explosion de l’auto-entreprenariat, qui peut relever du choix, mais bien souvent aussi de la contrainte, ou plus encore, du choix contraint.
L’emploi populaire s’est largement déplacé vers les «services»: les «services à la personne» pour les femmes (auxiliaires de vie, assistantes maternelles, aides-soignantes, etc.) et les «métiers du flux» pour les hommes (logistique, cariste, magasinier, camionneurs, livreurs, etc.). Les travailleurs des flux et des liens forment le «nouveau prolétariat», mais avec des revenus moindres que dans l’industrie, avec un collectif moins puissant, sinon absent, avec des conditions de travail dégradées.
Les salaires se sont largement smicardisés, un salarié sur cinq désormais. Voire sous-smicardisés, avec des temps partiels subis dans toute une série de métiers. Ou à peine au-dessus de ce minimum durant toute une carrière. C’est l’écrasement, le tassement de l’échelle des salaires. Un travailleur du bâtiment hautement qualifié était embauché, en 2000, 36% au-dessus du SMIC. Maintenant c’est à peine 16%. Les classes intermédiaires sont aussi touchées. En 1980, un enseignant était embauché à 2,3 fois le SMIC. Aujourd’hui, c’est 1,2 fois.
Et un bouleversement familial majeur s’est produit: la séparation fait désormais partie de la vie. Une famille sur quatre est monoparentale, c’est trois fois plus qu’en 1970. Avec 85% de femmes à leur tête, en charge.
Et ces ruptures coûtent cher. Aux chocs psychologiques, affectifs, s’ajoute un choc économique: c’est moins de revenus, et plus de charges, la double charge même, du travail reproductif du foyer et du travail productif pour gagner sa vie. Cette liberté gagnée, de pouvoir partir, est devenu un «risque» social courant. Pourtant, la société ne s’est pas organisée pour l’accompagner, pour l’atténuer. Bien vivre de son travail, et non pas en survivre, est difficile.
Bien vivre son travail également. Le travail, dans son contenu, s’est intensifié, avec une accélération des cadences, avec une chasse aux temps morts. Grâce à l’informatique, au numérique, à la robotique, on songe, intuitivement, que le travail s’est «allégé». Loin de là, pourtant. Les «contraintes physiques» (port de charge lourdes, se baisser régulièrement, etc.) ont augmenté depuis 1984: de 12% à 35% des salariés, mais au-delà des 60% chez les ouvriers. S’y sont ajoutées des «contraintes psychiques» (devoir remplir plusieurs tâches en même temps, répondre dans l’heure, etc.): de 6% à 36%. Ces dix dernières années, les licenciements pour inaptitudes ont doublé: plus de 100 000 par an, à la fois pour troubles musculo-squelettiques et pour troubles psychiques, le plus grand plan social du pays. Le turn-over du capital, les rachats des boîtes, les reventes par les fonds de pension, le management mouvant, les injonctions contradictoires… tout ça remonte jusqu’à l’encadrement, jusqu’aux cadres, victimes du mal du siècle: l’épuisement, le burn-out.
Il ne s’agit pas de peindre un tableau noir: le travail est à la fois source de difficultés et de fierté. Dans leur quotidien, les gens trouvent leur part de joies privées. Même, ce sont les métiers les plus durs, les moins reconnus, aides à domicile et caissières, femmes de ménage et ouvriers de l’industrie agroalimentaire, chauffeurs de bus ou routiers, travailleurs du bâtiment, ce sont eux, ce sont elles, qui éprouvent le plus grand sentiment d’utilité. Et à raison: ils et elles tiennent le pays debout!
À quoi servent nos impôts ?
Au sortir de la guerre, le ministre du Travail Ambroise Croizat déclarait «faire des lois de tranquillité sociale pour que les gens puissent dormir la nuit». Depuis quarante ans, se font des lois d’intranquillité sociale qui empêchent les gens de dormir la nuit. L’instabilité a été érigée en vertu, baptisée «flexibilité», «mobilité», «vie liquide».
Cette intranquillité sociale s’est accompagnée d’une injustice fiscale: la charge de l’impôt est passée des «bases mobiles», le capital, les grandes entreprises, qui peuvent bouger, vers les «bases immobiles», les ménages, les plus petites entreprises, qui ne peuvent pas fuir. Les impôts, jadis un outil du commun, de la Nation, de justice sociale, sont devenus incompréhensibles, illisibles et injustes, synonymes de contrainte et d’arbitraire. Le lien fiscal, le consentement à l’impôt, est rompu. Le pouvoir a choisi des baisses tous azimuts, qui bénéficient avant tout aux plus fortunés, creusant le déficit public comme jamais.
Les services publics en sont affaiblis. Avec ce paradoxe: les prélèvements (tout compris) sont en effet élevés, mais sans que l’école, l’hôpital, la justice, la police en soient musclés. Pire encore, les services publics semblent décliner, en quantité, en qualité. Les bureaux de poste ferment les uns après les autres, les classes sont surchargées, les urgences sont devenues des clubs VIP avec des listes d’attente interminables, les malades sont chassés des lits d’hôpitaux, dans les Outre-mer l’eau n’arrive plus au robinet, les crèches publiques sont pleines à craquer, les tribunaux peinent à tenir la cadence des affaires à traiter. Comment l’expliquer?
C’est que, à la place de protéger le pays contre la mondialisation et ses conséquences, l’État «s’adapte» et se transforme en guichet de subventions. Avec la principale pompe aspirante, arrosage général sans ciblage, 200 milliards de subventions aux entreprises, avec aides publiques et exonérations de cotisations. Mais «subventions» aussi aux perdants de la mondialisation: plutôt qu’un boulot pour tous, subventions au sous-emploi, aux écartés d’un marché du travail devenu brutal, avec les indemnités chômage et les allocations pour inactivité. Subventions aux bas salaires, avec la prime d’activité. Subventions face à des loyers trop élevés. Subventions à l’agriculture. Subventions pour les factures d’énergie, etc. C’est le même mécanisme dans tous les secteurs: l’État ne régule pas les importations, mais il subventionne les industries pour qu’elles soient compétitives. L’État ne régule pas le marché du logement, ne plafonne pas les loyers, mais il subventionne les locataires pour qu’ils puissent payer. L’État ne régule pas les marchés agricoles, mais il subventionne les producteurs, etc.
Et cette interrogation, ce cri, qui traverse la société: «à quoi servent mes impôts?» Derrière, la tentation sourde du libertarisme, la tentation du chacun pour soi, la tentation du repli. En France, quand l’impôt n’est plus consenti, quand le service public n’est plus délivré, quand l’État ne tient plus la cadence, c’est la société tout entière qui entre en ébullition.
« Limitless », une mondialisation sans limite climatique
Le «limitless», sans-limite, est le nom d’un yacht de la longueur d’un terrain de football. Son nom résume ce qu’est la mondialisation: une remise en cause de la notion même de «limite», en s’affranchissant du temps et de l’espace. C’est le mythe du «village global» où règnent l’instantanéité et l’abondance. Tout est rendu possible: un week-end en avion à l’autre bout du monde, un colis Amazon en 24 heures au départ de la Chine, une action achetée et revendue à la nanoseconde ou l’expérience d’un vol vers Mars.
La mondialisation devient donc le principal facteur du changement climatique et du dépassement des limites planétaires, dumping oblige, pour chercher les coûts les plus bas, pour gagner la guerre de l’export: épuisement des ressources, destruction de la biodiversité, gaz à effet de serre… La vie s’effondre, dans les airs, dans les mers, sur terre, et même sous terre. Quelques chiffres: en une génération, 30% des oiseaux ont disparu, 80% des insectes volants, 70% des vertébrés, 90% des lombrics. Les mégafeux n’incendient plus seulement, au loin, la Californie, la Sibérie, l’Australie, mais chez nous, les Landes ou le Gard. Les scientifiques désavouent, chaque année, leurs propres prévisions, les noircissent toujours plus, les +1,5° sont déjà atteints. En bout de chaîne, ce chiffre: la moitié des émissions de gaz à effet de serre des Français sont «importées», contenues dans les biens et services venus de l’étranger.
Quelle réponse de nos gouvernants? La culpabilisation individuelle. «Les Français» polluent, doivent être des consommateurs responsables. C’est la taxe carbone sur l’essence des Gilets jaunes quand le kérozène des avions et le fioul des porte-conteneurs est détaxé. Ce sont les ZFE autour des métropoles quand les jets privés planent librement dans le ciel. L’écologie, beau mot pour beau combat, ils ont rendu ce terme repoussoir pour les gens.
Le détachement de l’idéologie dominante
La mondialisation a entrainé une profonde crise démocratique. «Contrainte extérieure», «règles européennes», «complexité du monde globalisé»: nos dirigeants se sont liés les mains, ont fait le choix de l’impuissance. Longtemps, ils étaient assez puissants, tenaient assez de bastions dans la société, pour avoir le luxe de se diviser entre centre-droit et centre-gauche, offrir une alternance avec des nuances, mais sans alternative.
Mais l’hégémonie de leur bloc, le bloc central-libéral, s’est effritée au contact du réel, des crises financières, du chômage de masse, des inégalités galopantes. Des bouts entiers du pays décrochent de ce bloc central, qui n’apporte plus stabilité et sécurité. Pour survivre, pour se maintenir au pouvoir, ils ont été contraints de se réunir, en 2017, autour du banquier d’affaires Emmanuel Macron.
Nous vivons ce que l’intellectuel italien Antonio Gramsci appelle «le détachement de l’idéologie dominante». «Concurrence», «croissance», «mondialisation», ces mots de la pensée unique, qui servaient dans tous les discours, ces mots sont devenus des repoussoirs: nous nous sommes détachés. Avec des grandes marques, évidentes: le référendum sur le Traité constitutionnel européen, le 29 mai 2005, où 55% des Français disent «non» à la concurrence libre et non faussée, «non» à la libre circulation des capitaux et des marchandises. Et le «non» monte à 80% chez les ouvriers, 71% chez les employés. C’est un vrai vote de classe.
D’ailleurs, cette question ne sera plus jamais posée, parce que les dirigeants le savent: ce serait désormais un raz-de-marée, 60%, 65% de «non». C’est-à-dire que nous sommes dans une démocratie qui se fait sans le peuple, contre le peuple. On le mène dans une direction où il ne souhaite plus aller, depuis longtemps.
D’où une tension politique. D’où –nous dit Gramsci– une classe dirigeante qui devient purement dominante, qui n’entraîne plus, qui domine, qui recourt à la «force de coercition».
Le mouvement Nuit debout a traduit cela, ce refus, «non à la loi travail et son monde», chez les diplômés des centres-villes. Et on recourt contre lui à la «force de coercition». Le mouvement des Gilets jaunes en est la réplique, plus puissante, dans les Frances périphériques. Et là encore, le bâton. Les secousses des mouvements Climat dans la jeunesse, les manifestations de soignants, de pompiers, de taxis, contre la retraite Macron? Toujours le bâton.
Une quadruple colère qui monte
Pour les classes populaires et intermédiaires, depuis quarante années, l’horizon s’est obscurci. Les existences se sont durcies. La peur s’est logée dans les cœurs. Et la résignation aussi.
C’est un ressentiment, une colère, une colère qui grossit, une colère qui se noue dans le pays.
Colère contre qui?
Colère contre les Maîtres de l’Argent. En 1996, à la naissance du classement Challenges, les 500 fortunes françaises possédaient l’équivalent de 5% du PIB. C’était 20% à l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. C’est désormais près de 45%.
Les banquiers millionnaires, les parachutes dorés des PDG, les dividendes pour les actionnaires, voilà qui est bel et bien ressenti comme une injustice, mais hors de portée. Parce que ces nouvelles ne font jamais, ou presque, la Une de l’actualité. Parce que les riches sont désormais éloignés, hors de vue, hors des lieux de travail et d’habitation, dans des ghettos d’entre-soi des métropoles. Quand le patron d’avant avait un nom et une figure, logeait dans son château, à proximité, rendant visible, sensible, où allait notre sueur, notre argent.
Colère contre les dirigeants. Oui, et elle s’exprime. Dans les urnes, c’est le «non» de 2005. Dans la rue, c’est décembre 1995, ce sont les millions de manifestants contre les retraites Sarkozy et Macron, contre la loi travail de François Hollande, c’est un samedi de novembre 2018 où sur les ronds-points les plus invisibles revêtent leurs Gilets jaunes.
Une colère sourde, froide, latente, contre tous les «sachants» également. Contre les inspecteurs des finances, contre les causeurs à la radio, contre les donneurs de leçons, contre les diplômés avec savoir et pouvoir, contre les experts en tout qui n’y connaissent rien…
Colère, enfin, qui s’est dirigée contre «les assistés», les immigrés, les réfugiés.
C’est la tripartition de l’espace social. Il y a «nous, les classes populaires, ou moyennes» qui travaillons dur. Il y a «ils, les riches, les dirigeants, les puissants» qui s’arrogent des privilèges, ne payent pas leur juste part, sont détachés du sol commun. Et il y a «eux, les assistés, les immigrés, les réfugiés» qui «profitent des aides sur notre dos quand ’on’ a le droit à rien».
Mais quand le «ils» paraît intouchable, le «eux», on les a sous les yeux: dans le même immeuble, dans la ville à côté, ou à la télé.
On s’en prend à plus pauvres que soi, encouragés par tous ceux qui veulent diviser en bas pour continuer à régner en haut.
Un spectre hante la France : la perte de sens
Cette crise n’est pas seulement matérielle ou démocratique, elle est aussi spirituelle. Parce que les gens ordinaires ont disparu de la scène de l’histoire. Leur voix, leurs bulletins ne comptent plus ou si peu. Éloignés des lieux de pouvoir que sont les métropoles, évincés des médias, moqués dans les représentations culturelles avec les caricatures du «beauf», du «jeune de banlieue», du «péquenaud», écartés de la représentation politique: les indispensables sont devenus invisibles.
Les Gilets jaunes en ont témoigné, à leur manière: il s’agissait d’une révolte fiscale, oui, contre la taxe sur le gasoil et «pour que les gros paient gros», d’une révolte démocratique «contre le roi Macron» et pour le Référendum d’Initiative Citoyenne, mais par-dessus tout, sans doute d’une révolte métaphysique. C’est le moment où les plus invisibles ont revêtu un chasuble fluorescent dans les rues, où les muets ont retrouvé la parole, se sont confiés, où les plus résignés ont été traversés d’une espérance, où les isolés ont fait ensemble du commun. Elles, ils se sont mis sur les ronds-points, là où l’on tourne en rond, elles, ils ont interrompu ou ralenti les flux, de personnes, de marchandises, pour dire, d’abord: «hé ho, on existe!» Et posant, plus profondément, des questions existentielles: où va-t-on? Où va le pays?
Car un spectre hante la France: la perte de sens. «Travailler plus pour gagner plus», comme un hamster dans une cage, et en vérité, depuis Sarkozy, «travailler plus pour gagner moins». Avec un sentiment de déclassement qui mine le pays: «nos parents nous emmenaient toujours en vacances, avec nos enfants on n’y arrive pas». Avec une course aux diplômes, les efforts consentis, l’ascension gagnée mais en face, côté emploi, rien à la hauteur des qualifications. Ça démoralise.
Ou encore l’obsession macroniste d’un individu mécanique, économiciste, réduit à ses fonctions de producteur et de consommateur. Même la parentalité est regardée avec efficacité, le «réarmement démographique», et non comme une source de joie, de tendresse, tenir son gamin par la main… Où est l’humain, le citoyen? Que signifie vivre, et bien vivre, ensemble, en France? Ces questions paraissent floues. Elles le sont, et les réponses le seront encore davantage. Mais soyons certains qu’elles habitent les Français, qu’elles sont au cœur d’un malaise politique: le sentiment d’une absence de sens.
La crise Covid : un autre monde était possible
La crise Covid est pour nous un tournant, un moment fondateur. La secousse fut telle, et l’effarement devant des soignants manquant de lits d’hôpitaux, de gel, de respirateurs, de masques, de surblouses, revêtant des sacs poubelles ou des toiles de jardins en provenance de Gamm’vert, qu’elle ébranla jusqu’au sommet de l’État. Et son chef faisait trois déclarations en forme de manifeste politique majoritaire:
- «Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché.»
- « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres, est une folie. »
- Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Et enchainant, citant la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen: «Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
Evidemment, aussitôt le virus éloigné, ces «leçons» furent oubliées par le Président.
Mais pas par les Français: d’abord, parce qu’elles correspondent à une expérience vécue et marquante. Surtout, parce qu’au fond, les classes populaires, les citoyens ordinaires, adhèrent à ce programme simple depuis longtemps:
- Ne pas tout céder à la concurrence et au marché.
- Retrouver notre souveraineté, se protéger.
- Une société juste par un travail respecté et rémunéré.
Le retour à l’anormal
Le «non» de 2005, Nuit debout, les Gilets jaunes, la crise du Covid, le mouvement #MeToo… Autant de secousses, qui révèlent, pas seulement un refus de ce monde, mais aussi un profond désir d’autre chose. Mais nos élites, en faillite morale, intellectuelle, une fois de plus, ont fait le choix du retour à l’anormal.
Qu’est devenu l’engagement de «reconnaissance et rémunération» pour les salariés? Aux oubliettes. Pire, la double peine: l’inflation qui est venue rogner les maigres payes et deux ans de retraite volés.
Qu’est devenu l’engagement de «retrouver notre souveraineté»? À la poubelle. Quand les agriculteurs manifestent contre la concurrence déloyale, quelle est la réponse? La signature de nouveaux traités de libre-échange: avec la duplicité sur le Mercosur, avec la Nouvelle‑Zélande, demain avec l’Inde. Quand le pays traverse une crise industrielle, avec des centaines de plans sociaux, touchant jusqu’aux secteurs les plus stratégiques du médicament ou de l’acier, quelle est la réponse? Rien, un laisser-faire. Sanofi cède le Doliprane aux Américains et l’indien Mittal fait la pluie et le beau temps sur l’acier français. Quand Donald Trump menace tous azimuts avec ses droits de douane, quelle est la réponse de l’Europe? De la «rétorsion» sur les bidets, les chewing-gums et la viande de renne. Mais aucune construction d’une souveraineté. C’est nul, pathétique, ridicule.
Qu’est devenu l’engagement de placer des secteurs en dehors du marché, de défendre nos services publics? Enterré. Quand, chaque été les urgences sont en crise, l’École n’arrive pas à recruter, la Justice est sous l’eau, quelle réponse? Des budgets à tailler, des coupes sèches, pour réduire le déficit. Sans jamais, ô grand jamais, toucher au grisbi.
Qu’est devenu l’engagement d’une vie plus sobre, moins énergivore, plus authentique, plus proche du vivant? Plus éloigné que jamais. La crise Covid a accéléré un virage du capitalisme, trouvant son nouveau moteur: le numérique. Ses firmes sont les premières valorisations boursières. Ses patrons sont les premières fortunes mondiales. Eux cumulent le pouvoir économique et médiatique, quand ils ne s’emparent pas directement du pouvoir politique. Quant aux données, elles apparaissent comme le nouvel Eldorado.
Après avoir délocalisé sa base industrielle à l’Est, et vendu ses fleurons aux fonds de pension anglo-saxons, la France se place de nouveau dans une situation de dépendance: de «colonie numérique». Ni notre pays, ni l’Europe n’a produit le moindre réseau social, et nos citoyens usent des réseaux américains ou chinois. Sous couvert de «start-up nation», notre Président s’enorgueillit d’être une colonie: tel un gouverneur d’antan, il accueille les seigneurs technologiques plusieurs fois par an, à Versailles ou à l’Élysée, leur déroule un tapis rouge, leur construit un pont d’or, leur bâtit des data-centers sur mesure qu’il a le culot de déguiser en souveraineté.
Après la crise du Covid, le pays, les Français, étaient prêts à une bifurcation. Mais nos dirigeants ont accéléré dans l’impasse. Pourquoi? Ce n’est pas un hasard, pas simplement non plus de la bêtise ou de l’obstination naïve. La vérité, c’est que cet ordre mondial rapporte. Et il rapporte gros. Il donne des banquiers millionnaires, des comptes off-shore qui s’engraissent, des dividendes qui explosent, des sociétés-écrans qui ramassent la mise. Mais c’est une réponse incomplète. Nos dirigeants ne sont plus adaptés à notre temps, leur logiciel, leur idéologie est morte, ils ne savent pas penser en dehors de leur cadre «marché-concurrence-compétitivité». Comme des canards sans tête, ils courent encore alors que leur monde est mort.
Un moment de bascule
Nous vivons un moment de bascule. Les gens, très majoritairement, ont un désir d’autre chose. De manière floue, parfois confuse, certes. Mais, autre chose, un autre monde, guidé par d’autres valeurs que la cupidité, la compétition de tous contre tous et la croissance infinie. Il y a un vide à combler.
Et lorsqu’on ne l’occupe pas, des figures rétrogrades surgissent, qui non seulement approfondissent le désordre libéral, mais appellent à détricoter tous les droits individuels, démocratiques patiemment conquis. Trump, Musk, Milei: ils incarnent, chacun à leur manière, une forme de régression autoritaire.
Ils méprisent le savoir, détruisent les services publics, promeuvent une société inégalitaire où la loi du plus fort serait la seule morale.
Il faut écouter le discours de Javier Milei à Davos: la justice sociale est pour lui une «idée sinistre, injuste et aberrante». L’Occident doit dominer le monde. Les mâles doivent dominer les femmes. Les Blancs doivent dominer les Noirs. Les riches doivent dominer les pauvres. Il s’agit d’en revenir, il le dit, il l’écrit, à avant la Révolution française, à avant les Lumières, à avant même la Renaissance et ses humanistes. Au Moyen Âge, à l’Ancien Régime, dont ces nouveaux seigneurs sont fans.
C’est une internationale fragmentiste: leur conviction est que la société n’existe pas, qu’elle n’est qu’un agglomérat de particules élémentaires incapables de se gouverner. Ils agissent sans cesse, et de manière coordonnée, pour affaiblir les structures sociales, s’en prennent à l’État parce qu’il est le dernier rempart du commun et l’institution du projet républicain d’égalité. Au grand bond en arrière social, ils ajoutent aujourd’hui le grand bond en arrière moral.
Un point d’appui : notre peuple
Où sont les points d’appui, de résistance, d’espérance? Ne biaisons pas: à l’international, les éclaircies de la gauche au pouvoir ou en conquête, les lendemains qui chantent, sont minces… Mais des forces existent aux États-Unis avec Bernie Sanders et son «Fight Oligarchy», au Mexique avec sa Présidente Caudia Sheinbaum qui tient tête à Trump pour défendre son peuple, en Espagne avec une coalition progressiste qui obtient du mieux pour les gens, en Belgique avec le Parti des Travailleurs Belges qui a construit une digue contre l’extrême-droite en Wallonie.
Mais nous le disons, avec ce qu’il faut de patriotisme: notre point d’appui est ici, en France, dans notre peuple. Quand l’Europe entière accepte les privilèges des Églises et de la monarchie, qui fait la Révolution et proclame l’Égalité? La France, les Français. Quand l’Europe glisse vers le fascisme dans les années 30, qui fait le sursaut du Front populaire? La France, les Français. Quand le pays est au fond du trou, qui fait la Sécurité sociale puis la souveraineté alimentaire et énergétique en à peine une génération? La France, les Français. Quand les diplomaties européennes s’alignent sur l’OTAN, les Américains, pour envahir l’Irak, d’où vient le «Non» entendu dans tous les pays du Sud? De la France, de ses représentants. Quand les Européens se laissent bercer par une Union européenne du marché, qui revient dire «Non» fortement en 2005? La France, les Français.
Nous tenons bon, la vague n’emporte pas notre France. Des batailles ont été remportées. Plus un seul parti politique ne porte publiquement l’abrogation du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels ou du droit à l’IVG. Mieux, nous avons inscrit ce droit dans la Constitution et bientôt le consentement dans la loi. Lentement mais sûrement, la société change son regard sur la fin de vie, le handicap, les normes de genre, les minorités. Quand Bernard Arnault pleurniche sur ses impôts et loue le «vent de liberté» venant des États-Unis, l’Assemblée nationale lui répond par la taxe Zucman, de 2% sur le patrimoine des milliardaires.
Les raisons d’espérer existent.
Debout pour un horizon : le bonheur commun
« Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptible. »
- Constitution de la Ière République, 1793.
Le 24 juin 1793, le peuple français adoptait par référendum la première constitution républicaine. Bien que les soubresauts de l’Histoire n’aient jamais permis son application, ce texte fondateur résonne encore aujourd’hui comme une source d’inspiration. Elle commençait ainsi: «Le but de la société est le bonheur commun.» Cet article fait écho à la Déclaration d’indépendance des États-Unis qui, 17 ans plus tôt, instaurait «la recherche du bonheur» dans les principes fondateurs de cette nation naissante.
Pour nous, la politique doit poser la question pas seulement des moyens mais aussi des fins, des finalités, c’est-à-dire la question du bonheur.
Lever les obstacles au bonheur
Notre horizon est simple: lever tous les obstacles au bonheur. Fins de mois difficiles, logement mal isolé, pression au travail, harcèlement de rue, discriminations, racisme, planète invivable, air irrespirable, eau imbuvable, pathologies de l’emprise numérique… Tout cela produit des vies empêchées, corsetées, bridées, entravées, étouffées. Des vies qui ne peuvent exprimer leur potentialité, leur désir.
Le rôle du politique, en République, n’est pas de faire le bonheur des individus à leur place. Mais de le rendre possible, de rendre possible des vies débarrassées des servitudes, des dominations, des sujétions.
Une vie large
«Nous ne sommes pas des ascètes, il nous faut la vie large» disait Jean Jaurès. Nous refusons le modèle des classes dominantes qui nous enferment dans un rôle de «producteur-consommateur» pour la grande machine économique. Nous voulons une vie large, faite oui d’effort et de travail mais aussi de musique, de poésie, de repos, de sport, de bricolage, de grand air, de mer et de montagne.
Nous voulons une vie large, où priment les espaces et les temps en dehors du marché, du règne de la marchandise, de la pure consommation. Les Français, dans leur grande masse, ne sont pas «anti-capitalistes» mais plutôt «a-capitalistes». Une partie de nos existences se déroule, de fait, en dehors de sa logique: tout le temps consacré aux associations, au sport, à la culture, aux enfants. C’est un «déjà-là» à étendre: amour du travail bien fait et de l’œuvre réalisée, solidarité au travail, réciprocité amicale, don contre don, petits bonheurs simples de la vie, décence commune, etc. C’est à une démarchandisation progressive de la société que nous appelons.
À la concurrence, nous répondons entraide. À la mondialisation, nous répondons protection. À la croissance, nous répondons partage.
A-croissant : sortir la croissance de nos imaginaires
La société marchande, à grand renfort de publicité, sature l’imaginaire: plus, plus vite, plus fort, plus loin. Elle crée des besoins artificiels et une frustration généralisée: des consommations statutaires (le nouvel iPhone, la semaine dans les îles, les baskets à la mode…) deviennent l’étalon, la norme, la référence d’une «vie réussie». Une rivalité ostentatoire, du haut de la pyramide sociale vers le bas, pousse à une consommation-consolation.
Or, depuis les années 1970, il n’y a plus de corrélation entre l’augmentation du PIB et les indices de bien-être dans les pays développés. Nous avons dépassé un stade: «produire plus» ne signifie pas «vivre mieux».
L’horizon d’une société de production-consommation, comme le hamster dans sa roue, n’est pas le nôtre.
C’est pourquoi, nous nous déclarons a-croissant: nous ne visons pas la croissance, non, nous ne portons pas l’augmentation du PIB comme objectif. Notre critique est double. D’abord, l’imaginaire de la croissance est un puissant argument contre le partage: «ouvriers, salariés, employés, cadres, grossissez le gâteau et après on redistribuera!» Or le gâteau est déjà bien assez gros. Ensuite, la croissance empêche de poser la question évidente: au fait, qu’est-ce qu’il y a dans le gâteau? Des pesticides, du pétrole brûlé, des micro-plastiques? Peut-on encore le manger?
Accélérer ou ralentir ?
Nos dirigeants nous vendent un «progrès» fondé sur la start-up nation, sur les technologies numériques, sur la dématérialisation des procédures administratives, l’accélération des échanges, des modes de vie, sur des grands projets d’infrastructures.
C’est une autre décorrélation: entre innovation technologique et progrès humain. Les deux ne marchent plus ensemble. Qu’est-ce que le progrès? Un frigo 5G connecté qui prévient Carrefour City quand il n’y a plus d’olives à l’intérieur? Une autoroute pour gagner dix minutes de temps de trajet?
Leur «progrès» n’est pas le nôtre. Notre progrès, c’est toujours prendre le parti des faibles, alléger la vie des faibles. C’est libérer les enfants du labeur, c’est transformer la vieillesse en un nouvel âge de la vie, c’est donner accès aux armes du savoir au grand nombre, c’est par la machine maîtrisée alléger la peine de l’ouvrier. Ce qui nous rend plus humain, qui libère nos potentialités.
Surtout, les innovations technologiques déterminent largement nos existences, dessinent nos sociétés. Elles doivent donc passer par la case «démocratie» avant de s’imposer: collectif d’entreprises, conventions citoyennes, délibération parlementaire… Par exemple, par quel lieu de délibération, de discussion, de décision est passée la commande vocale avant qu’elle ne s’impose dans tous les entrepôts pour les préparateurs? Aucun. Quel avantage, en échange de la productivité, quel avantage en ont tiré les salariés? «Le véritable enjeu est de déterminer ce que nous autres travailleurs acceptons comme un progrès» écrivaient les dockers de San Francisco en 1971.
Les liens plutôt que les biens
Notre vision du progrès est simple: les liens plutôt que les biens. Le progrès passera désormais par la qualité des liens, des soins, de l’éducation, des relations humaines que nous entretenons.
Ainsi, ces métiers et secteurs sont centraux dans le projet de société que nous défendons: enseignants, ATSEM, auxiliaires de vie, assistantes maternelles, accompagnantes d’enfants en situation de handicap, aides-soignantes, animatrices périscolaires, auxiliaires de puériculture, infirmières, travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, agents d’entretien, agents de sécurité, etc.
Ils et elles, surtout elles, portent notre projet de société. Or, à la différence des ouvriers de la grande industrie du XIXe et XXe siècles, elles ne se pensent pas comme une classe, une classe sociale, un groupe puissant, fort, partageant des intérêts et une vision commune. Elles sont atomisées dans des métiers, des statuts, des postes, des missions précaires. Elles sont invisibilisées par l’inconscient général de la société sur les femmes: «Elles ont passé des siècles à s’occuper des autres, des enfants, des vieux, des malades à la maison, gratuitement, maintenant on les paye un peu, elles ne vont pas se plaindre en plus!».
Et qui se double d’un autre inconscient: dans les métropoles, ces postes sont souvent remplis par des immigrées et par leurs enfants: «Qu’elles soient déjà bien contentes d’avoir un emploi!»
Notre tâche, c’est de représenter politiquement ces métiers, d’aider cette classe sociale à prendre conscience de sa force. C’est qu’un continent émerge de ce qui, jusqu’alors, n’apparaissent que comme des îlots.
Notre projet de société, c’est de soigner les liens. Et donc de soigner ces métiers du lien, qu’ils obtiennent une reconnaissance pleine et entière, dans les statuts et les revenus, dans les horaires, les salaires, les carrières. Ce qui en fait un combat populaire, féministe et anti-raciste.
La société, c’est du travail mis en commun
Nous sommes travaillistes. Non pas au sens du «Parti travailliste» britannique. Mais au sens où nous plaçons le travail, le travail en commun, bénévole, salarié ou domestique, comme le cœur de la société. Car dans n’importe quel geste du quotidien, y compris les plus anodins, il y a une quantité faramineuse de travail derrière. C’est le socle de nos sociétés.
Nous n’adhérons pas aux discours sur la «fin du travail», qui le décrivent comme une malédiction à chasser. À quoi ressemblerait une «société sans travail»? Une classe d’oisifs qui vit sur le travail d’autres, invisibles dans nos pays, externalisés ailleurs? Ou alors une armée de robots qui construiraient, éduqueraient, soigneraient?
Non. Nous faisons nôtre toute l’histoire du mouvement ouvrier. Quelle est-elle? D’abord, la dignité par le travail, la bataille sur le contenu du travail, son sens, se réaliser en réalisant, sur la maîtrise de l’outil de travail et ses finalités. Ensuite, la lutte pour la valeur de son travail, la paye, les conditions du travail. Enfin, libérer du temps hors travail, la bataille pour le temps libre. Les trois, ensemble.
Un travaillisme climatique
Quel sens alors donner au travail aujourd’hui?
Affronter un défi commun, gigantesque, existentiel: le défi climatique. Qui suppose de tout transformer: agriculture, industrie, logement, déplacement. Il y a là une masse immense de travail à réaliser.
Nous nous inspirons de Roosevelt, président des États-Unis en 1942, lorsqu’il entre en guerre. Il n’a ni chars, ni avions, ni bombardiers. Il va alors canaliser toute l’énergie, les capitaux, la main d’œuvre, l’appareil d’État vers un objectif: l’économie de guerre. Nous devons opérer le même basculement pour accomplir la mobilisation générale que nécessite le défi climatique.
Faire-ensemble, embarquer toute la société vers le même objectif, voilà ce qu’est le travaillisme climatique. C’est un projet qui part, évidemment, de l’urgence climatique. Mais c’est aussi un pari humaniste: derrière chaque porte, dans chaque personne, des talents, des savoir-faire, coudre, bricoler, cuisiner, conduire, jardiner. Aucun bras, aucun cerveau, aucune bonne volonté ne seront de trop. Parce que le pire malheur, aujourd’hui, c’est de se sentir inutile au monde. C’est d’être étranger à la vie en commun. C’est un projet, enfin, qui renoue avec la tradition communiste et socialiste, car il nécessite un État stratège, chef d’orchestre, qui opère une planification, pour cette mobilisation générale.
Une France qui partage
Nous sommes les partageux. Roosevelt, lorsqu’il passe en économie de guerre, c’est avec la conscience que les efforts ne seront supportables que s’ils sont équitablement répartis. Il fait alors voter l’impôt sur le revenu avec une tranche à 94% pour abaisser le plafond en haut.
Et augmente les salaires pour relever le plancher.
Abaisser le plafond de ceux qui se gavent en haut, relever le plancher de ceux qui se rationnent en bas: voilà une définition du partage.
Il faut le faire.
Pour des raisons économiques, évidemment. Pour retrouver des marges de manœuvre fiscales. Pour soutenir des services publics exsangues, l’hôpital pilier de l’État social, l’École pilier de la République, la Justice, la police, etc.
Pour des raisons morales, aussi. L’indécence des chiffres, des patrimoines, des écarts: comment croire que Bernard Arnault «mérite» 400 000 fois plus que ses couturières? Oui nous mettons une limite à l’accumulation car elle ne peut se faire que sur le dos du travail des autres. «La richesse c’est comme le fumier: elle pue quand on l’entasse, mais porte de nombreux fruits quand on la répand», disait Francis Bacon.
Pour des raisons écologiques, quasi-civilisationnelles, enfin. Comment leur remettre les pieds sur Terre? Comment avoir le sentiment de refaire Nation, d’appartenir à la même humanité?
Une France qui protège
Nous sommes protectionnistes. C’est le cœur de notre engagement. Sans politique commerciale qui protège l’industrie, les secteurs stratégiques, le pays se vide de ses compétences, de ses emplois, de sa souveraineté même. Contre un protectionnisme de «rétorsion», nous prônons un protectionnisme de «construction». Non pas des taxes aux frontières, des barrières douanières, des quotas d’importation tous azimuts, sur tous les produits, non. Mais au contraire identifier les 100 produits stratégiques sur lesquels nous voulons rester ou redevenir souverains: les aliments, les médicaments, l’armement, l’acier, etc. Protéger face au chaos, au désordre mondial, aux désordres du marché, à un monde qui chaque jour devient plus instable, voilà notre tâche.
Protéger le travail contre le capital. Protéger le vivant. Protéger les citoyens contre les discriminations, les agressions, leur assurer dignité et tranquillité. Protéger un cadre de vie commun, la République et sa laïcité –la loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905– attaquées par ses dévoyeurs en chef, les identitaires et les intégristes religieux.
Protéger.
Reprendre le contrôle
Un sentiment profond mine notre peuple: celui de n’avoir plus de prise sur le cours du monde, de sa vie, sur la politique, celui d’avoir perdu le contrôle. C’est pourquoi nous sommes souverainistes, au sens de la souveraineté du peuple, sa capacité à maîtriser son destin commun. Aucune divinité supérieure, aucune instance supérieure non consentie ne peut s’arroger cette prérogative.
C’est pourquoi nous demandons de nouveaux outils démocratiques: le RIC, les Conventions citoyennes, du tirage au sort, des grands débats publics sur les sujets de société.
C’est pourquoi nous sommes si attachés à l’article 3 de notre Constitution: «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.»
C’est pourquoi nous sommes toujours critiques d’une construction européenne qui s’est faite sans les peuples, dans le dos des peuples. Certes, l’Europe a lâché les cordons de la Bourse avec la crise Covid et la guerre en Ukraine, il y a des bougés, que nous constatons. Mais le logiciel fondateur n’a pas changé. C’est pourquoi nous pensons que la France doit chercher des alliés en Europe pour s’engouffrer dans la brèche ouverte: exclure les investissements d’avenir des règles de déficit, un grand plan d’investissement européen, etc. Mais «attendre que l’Europe change» n’est pas un horizon acceptable pour notre peuple. Nous désobéirons aux traités européens lorsqu’ils entrent en contradiction avec nos engagements.
Parce que nous sommes protectionnistes, nous sommes régulationnistes. Nous croyons aux cadres, aux règles posées en commun, à une société ordonnée par une puissance publique. Nous ne croyons pas à la «main invisible du marché» qui transformerait, comme par magie, les intérêts privés dans l’intérêt général.
Sur tous sujets, nous croyons à la régulation. Certains secteurs doivent sortir du marché: c’est le cas de l’éducation, de la santé, de la culture, du sport. D’autres doivent être encadrés, régulés: c’est le cas du logement, du bâtiment, du travail, du système bancaire, etc.
Internationalistes, la solidarité entre Nations
Sur le plan international, nous sommes attachés à la voix indépendante de la France, en dehors d’une logique de «bloc occidental» et de l’OTAN. Une voix forte de la France, écoutée et entendue car claire et à géométrie non-variable: condamnant l’invasion russe en Ukraine, et avec la même force, avec les mêmes sanctions, le génocide à Gaza, les colonies en Cisjordanie, par le gouvernement d’extrême-droite israélien.
Nous défendons la seule instance internationale légitime pour régler les conflits: l’Organisation des Nations Unies.
Notre internationalisme, entre les peuples, est une organisation de la contagion. Les expériences politiques de chacun sont des points d’appui pour les autres. Quand la coalition féministe en France obtient la constitutionnalisation de l’IVG, c’est un appui pour la lutte des femmes polonaises, hongroises, américaines, argentines. Et inversement: quand l’Espagne fait la «loi Riders» pour donner des droits aux livreurs, ou quand l’Irlande reconnaît la Palestine comme État, c’est un point d’appui ici, pour nous.
Notre internationalisme est celui de Jean Jaurès, qui présuppose «l’existence de nations fortement constituées». Son internationalisme est concret et articule la coopération entre les peuples par le droit social réciproque à travers l’établissement «de traités en vertu desquels un gouvernement fait bénéficier les citoyens d’autres pays qui s’établissent sur son sol, des lois protectrices du travail si l’autre gouvernement observe une même conduite».
C’est d’ailleurs en ces termes qu’en 1863, les syndicats ouvriers anglais adressaient un message à leurs camarades français: un appel à la coordination des luttes nationales pour refuser les détachements de travailleurs pendant les grèves – «chaque fois que nous essayons d’améliorer notre condition sociale […] on nous menace toujours de faire venir des Français, des Allemands, des Belges qui travaillent à meilleur compte» dit la lettre – afin d’empêcher les patrons «de nous mettre dans une concurrence qui nous rabaisse à l’état le plus déplorable qui convient à leur misérable avarice.»
C’est dans cette longue tradition du mouvement ouvrier que nous pensons le phénomène migratoire. Les migrants sont nos frères et sœurs en humanité. Jamais nous n’en ferons le bouc-émissaire, la cause des maux de la société française. On migre par nécessité, non par plaisir. Déstabilisation géopolitique, guerres, concurrence économique déloyale, crise climatique… les causes des migrations sont nombreuses. «Travailler et vivre au pays» est une aspiration légitime que nous partageons avec les peuples du monde entier.
La France s’est construite aussi par et avec l’immigration. Elle a su et elle sait toujours intégrer. Encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens: par la langue, par le travail, par un toit sur la tête.
Tous les travailleurs et travailleuses sur notre territoire doivent être régularisés pour ne plus vivre dans la peur du lendemain.
Nous sommes opposés à la volonté du patronat de filières d’immigration pour trouver une main d’œuvre manquante. Les pays du Sud ne sont pas des viviers de bras et de cerveaux à la libre disposition du Nord.
Nous refusons ce pillage des compétences essentielles au développement autonome et souverain des pays du Sud. C’est par la mobilisation générale des travailleurs français comme étrangers sur notre territoire, en assurant salaire-horaire-statut-revenu ici, que nous affronterons les grands défis devant nous.
Debout pour gagner ici et maintenant
«Rien de grand dans notre histoire ne s’est fait sans joie, rien de grand ne s’est fait sans désir. On fait la révolution, d’abord parce que c’est une fête.»
- Henri Lefebvre, philosophe français, 1965.
Le choix des masses, des gens
Nous refusons l’usage de la violence en politique. Pour des raisons morales évidentes. Mais surtout pour des raisons politiques.
Ce que nous cherchons par notre action: la masse, le nombre, les millions, le peuple, la majorité à convaincre, à mobiliser dans la rue et dans les urnes. Dès lors, la violence individuelle ou groupusculaire nous nuit: elle éloigne les gens, elle rend le mouvement impopulaire, et sert finalement les intérêts des puissants, qui agitent ça comme un épouvantail.
Nous ne sommes pas une avant-garde. Nous ne sommes pas là pour «éduquer» les masses, les sortir de leur «fausse conscience» par la révélation de notre Vérité. Non, nous nous gardons d’un langage académique ou militant ampoulé, des mots à douze syllabes, des -ismes à toutes les phrases. Non, nous sommes sensibles, à chaque moment, à comprendre, saisir ce qui agite la société pour le traduire dans un discours et des actions à «hauteur d’hommes et de femmes»: le «Pain, Paix, Liberté» de notre époque.
Nous sommes réformistes-révolutionnaires
Réformiste-révolutionnaire, c’est une formule de Jean Jaurès.
À l’époque, il dit: « Le mouvement ouvrier doit arracher des petites victoires, pas attendre le grand soir. Ainsi, le peuple prend confiance en lui, prend conscience de sa force, pour engager ensuite une transformation plus profonde. »
Le réformisme révolutionnaire, c’est donc à la fois le premier pas et l’horizon.
L’horizon, c’est le bonheur commun, la société des liens, de l’entraide, du partage. Mais notre peuple est comme un malade en convalescence démocratique, politique, gangrené par la résignation. Si vous lui dites «voilà l’horizon!», il n’y croit pas, il ne s’en sent pas la force. En revanche, un premier pas, oui on peut le faire ensemble. Et après, peut-être un deuxième pas, un troisième, et puis on relèvera le nez vers l’horizon.
Une nouvelle République? Oui, c’est l’horizon. Le premier pas, c’est le RIC.
L’égalité réelle? Oui, c’est l’horizon. Le premier pas, ce sont des impôts justes et l’abrogation de la retraite à 64 ans.
L’harmonie sur Terre, entre les humains, les arbres et les oiseaux? Oui, c’est l’horizon. Le premier pas, c’est d’isoler les passoires thermiques.
Vers le Grand soir, avançons avec des centaines, des milliers, de petits matins.
La rue et les urnes, le bas et le haut
Quels sont les grands moments politiques de notre histoire récente?
1936, le Front populaire. C’est à la fois une victoire électorale des socialistes, communistes et radicaux, et des ouvriers en grève dans les usines.
1968, les révoltes de Mai. Étudiants et ouvriers battent le pavé mais sans débouché politique. À l’inverse, mai 1981, c’est la victoire électorale de François Mitterrand mais sans mobilisation, sans recherche du pouvoir de s’appuyer sur sa base sociale.
1997, la gauche plurielle –avec toutes ses limites– a été le débouché des grandes grèves de l’hiver 1995.
Nous croyons à ça: à la rue et aux urnes, aux mobilisations et aux institutions. L’un et l’autre, l’un avec l’autre.
Car notre conviction, c’est qu’aucun changement, rien de grand, rien de beau ne se fait dans une société froide, à l’arrêt. Vous pouvez mettre des bons copains à l’Élysée, dans les ministères, une majorité à l’Assemblée. Mais, en face, vous aurez le Sénat, la Commission européenne, le FMI, les grandes banques, l’OMC, le Medef qui viendront dire: «je crois que ça ne va pas être possible». Face au mur de l’Argent, coalisé, remonté, organisé, les petits bras musclés de quelques dirigeants, même les mieux intentionnés du monde, ne feront pas le poids. Il faut le peuple en mouvement, le peuple en débat, le peuple consulté, le peuple qui fait irruption, intervient, bouscule l’ordre existant.
Un peuple debout.
Car notre conviction, c’est que le politique n’a pas un rôle d’inventeur d’une société neuve, d’une utopie sur papier, d’une table rase du passé pour tout reconstruire. Non. Le politique a un rôle d’accoucheur du meilleur en gestation dans la société, de généralisation d’un déjà-là.
En 1945, Ambroise Croizat peut faire la Sécurité sociale, cette utopie réelle, car il cueille un fruit déjà mûr: un siècle de mutuelles ouvrières, de fédérations d’entreprise, de caisses d’entraide.
Les communes sont une source d’inspiration de la société de demain: quand les villes de Trappes et de Poitiers, leurs maires, font le séjour d’été à 10 euros pour les enfants, c’est un merveilleux déjà-là à généraliser.
C’est pourquoi nous accordons une grande place dans notre pratique politique aux petites victoires, aux avancées, aux conquêtes: fêtons-les, faisons-les connaître, montrons que c’est possible ici et que ça peut être mieux demain!
Taper l’adversaire, souder le peuple : les petits contre les gros
Au lancement de Picardie debout!, nous avons choisi comme mascotte la marionnette Lafleur, irrévérencieuse, moqueuse qui «botte le cul des notables». Pourquoi? Car notre rôle est de réactiver, de marteler, avec constance, à tout moment, le conflit bas-haut, vertical: nous contre eux, nous, les petits, les travailleurs, le bas, contre eux, les gros, les actionnaires, le haut. De redoubler d’imagination politique, culturelle, artistique, statistique pour montrer cette découpe fondamentale: ceux qui se gavent, ceux qui n’ont que le travail pour vivre.
Oui la démocratie c’est du conflit. Du conflit institutionnalisé, verbalisé, encadré. Mais du conflit qui existe dans la société. Le taire, le contourner, par un faux consensus, c’est la garantie qu’il sortira de la pire des façons, à coups de bâton plutôt que de bulletins, par le combat plutôt que par le débat.
Pour souder le peuple, il nous faut combattre les divisions à l’intérieur des classes populaires. Depuis Karl Marx et ses textes sur les ouvriers irlandais, nous savons que le racisme, pointer l’oisif d’en bas, sont des outils de la bourgeoisie, une barrière dressée pour diviser. Notre rôle, toujours, est de reconstruire «l’unité de classe».
C’est un tempérament aussi d’impertinence, de leur tenir tête, de faire nôtre la colère qui gronde. Face aux dirigeants politiques incapables et corrompus. Face aux milliardaires, aux grands patrons. Face aux éditorialistes, aux médias qui se font leurs relais.
Un rôle d’alchimiste : représenter, exprimer, héroïser, rendre la fierté
L’indignation, la colère, seules ne glissent pas vers le progrès humain. Elles peuvent laisser place à la rage, au ressentiment. C’est pourquoi nous avons un rôle d’alchimiste: transformer la colère en espérance. Il faut assumer une part spirituelle du combat politique, fait d’affects,
de sentiments, de passions.
D’abord, exprimer et représenter. Philippe Gavi, en fondant le journal Libération, traçait une ligne de conduite: «Qui donnera la voix aux ouvriers, aux grévistes, aux paysans… la force explosive que la parole représente. L’imaginaire et le réel se fondent avec les mots.»
Avec nous, les gens doivent se sentir entendus, compris, considérés et même aimés. Notre rôle est de laisser éclater une parole directe, de mettre en mots, en récits, en images, en textes, en vidéos, un sentiment populaire majoritaire: «Voilà quelqu’un qui dit ce qu’on pense.» C’est cette bouffée d’oxygène que nous devons apporter. C’est cette femme de ménage, qui en tombant sur un discours d’un inconnu à la tribune de l’Assemblée, retrouve de la dignité. C’est cette auxiliaire de vie, qui sortant d’une projection au ciné, se sent plus que jamais utile à la société. C’est cet ouvrier, qui en parcourant notre tract sur le mal-travail, se reconnaît et lâche un «c’est bien vrai».
Ensuite, héroïser. Le Parti communiste, à la sortie de la Seconde guerre mondiale, héroïsait les métallos et les mineurs: «C’est vous qui reconstruisez le pays!» Notre tâche est similaire. Les métiers des liens et des flux, des premières et deuxièmes lignes pendant le Covid, qui ont montré leur caractère indispensable, sont nos héros, nos héroïnes: «Vous tenez le pays debout!»
Enfin, dire la fierté. Chez les gens, même dans les vies les plus dures, se mêlent difficulté et fierté, dureté et joie privée. Notre rôle est d’aller chercher la fierté, toutes les fiertés: fierté de faire un boulot utile, fierté locale, de ma région, de mon quartier, de mes traditions culturelles, gastronomiques, sportives, fierté de mon pays. Il s’agit de raviver un orgueil populaire face au mépris d’en haut.
Anti-terra Nova : un bloc électoral de rupture à reconstruire
1789, c’est quoi? Les petits bourgeois, les avocats, qui représentent le tiers État à l’Assemblée. Mais c’est dehors le peuple de Paris qui prend la Bastille, et le peuple des campagnes qui fait la Grande peur. Le Front populaire, ce sont les intellos qui disent non au fascisme, et les prolos qui réclament les 40 heures et les congés payés. L’originalité du Mai-68 français, c’est qu’il est à la fois étudiant et ouvrier.
Mai 81, c’est la jonction dans les urnes. Voilà les morceaux qu’il nous faut recoller, pour gagner: entre classes populaires et intermédiaires, et entre quartiers et campagnes.
Nous sommes les anti-Terra Nova, du nom de ce fameux rapport qui préconisait à la gauche de ne plus contester à l’abstention ou au FN de larges pans de la classe travailleuse, et de forger «une nouvelle coalition»: «la France de demain, plus jeune, plus diverse, plus féminisée, plus diplômée, urbaine et moins catholique», une coalition centrée sur «les diplômés, les jeunes, les minorités et les quartiers populaires, les femmes». Terra Nova ajoutait:
« Contrairement à l’électorat historique de la gauche, coalisé par les enjeux socioéconomiques, cette France de demain est avant tout unifiée par ses valeurs culturelles, progressistes: elle veut le changement, elle est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive. »
Nous nous refusons à découper le peuple en segments électoraux. Nous souhaitons construire un projet, porter un discours, nous adresser au pays pour une majorité politique sur une base sociale, de classe. Nous ne voulons abandonner personne.
Pour des raisons morales. Pour nous, perdre les ouvriers, les employés, ce n’est pas seulement perdre des électeurs, c’est perdre notre âme, le sens de notre engagement.
Pour des raisons électorales. Comment être majoritaire un jour en France sans la masse de ceux, de celles qui vivent de leur travail futur, la jeunesse en formation, de leur travail actuel, les salariés, de leur travail passé, les retraités?
C’est sur cette classe des liens et des flux, alliée aux classes intermédiaires, cette jeunesse précarisée et ces retraités modestes, que repose la majorité de demain. Pas seulement pour gagner, pour l’emporter, mais pour renverser la table, et tout changer!