Ici et là, bénéficiaires et bénévoles d’associations montent sur scène dans des pièces de théâtre. Deux exemples, à Lille et en région parisienne, montrent que la pratique du théâtre peut aider à faire sortir ses émotions et oublier les soucis.

À Suresnes, dans la région parisienne (92), le metteur en scène Jean-Baptiste Sastre a contacté des associations telles que la Croix Rouge ou le Secours Populaire pour proposer aux bénéficiaires et aux bénévoles de rejoindre le chœur dans son spectacle. Monté avec la comédienne Hiam Abbass, Plaidoyer pour une civilisation nouvelle est basé sur l’œuvre Simone Weil. Née en 1909, cette philosophe et militante engagée a suspendu sa carrière d’enseignante pour travailler volontairement comme ouvrière. Simone Weil en a tiré des textes sur la condition ouvrière.
Ferdaous, accompagnée par la Croix-Rouge, avait hésité à participer au projet de théâtre. Finalement, elle a modifié ses heures de travail pour ne pas rater une seule répétition ! La jeune femme a été emballée dès la première séance : « J’avais tout essayé, le sport, écouter de la musique etc., explique-t-elle. Avec le théâtre, j’oublie mes problèmes ».

« Il nous fait rigoler, pleurer, crier »

Ferdaous salue le travail du metteur en scène, qu’elle trouve professionnel et très gentil. « Il nous a appris beaucoup de choses, comment apprendre le texte, comment exprimer nos sentiments. Il a fait sortir des choses de l’intérieur de chacun, il nous fait rigoler, pleurer, crier ».
Le texte sur lequel Ferdaous a fait ses premiers pas était un discours sur le travail : « Ça m’a beaucoup touchée car j’avais un problème avec mon employeur » se rappelle Ferdaous, pour qui le théâtre est une grande première. La nouvelle comédienne, qui vit seule, se réjouit aussi d’avoir rencontré plein de nouvelles personnes, « des personnes âgées, malvoyantes, un peu handicapées, des riches, des pauvres, des vieux, des jeunes. On était heureux tous ensemble ».
Le projet s’articule autour de l’œuvre de Simone Weil, notamment son travail à l’usine. « C’est Simone Weil la clé. Elle donne le la, explique Jean-Baptiste Sastre. Elle était du côté de ceux qui n’ont pas la parole » et de ceux dont le travail est difficile. Le metteur en scène tient à préciser que « ce n’est pas du théâtre amateur ». Le spectacle, qui a déjà été joué en 2019 (à Avignon notamment), sera joué dans le théâtre de Suresnes, accompagné par le Chœur de Toulon, qui intervient auprès de personnes qui vivent dans la rue.

Le théâtre change les rôles de la vie

Ce projet, c’est un moyen pour que les habitants de Suresnes « s’emparent de la poésie ». Mais également pour qu’ils se parlent. Aussi bien les associations entre elles que les bénéficiaires et les bénévoles. Carole, bénévole à la Croix-Rouge, est responsable de la permanence d’aide au logement à Suresnes. Elle participe à la pièce de théâtre : « C’est très fort de participer à ce projet. Car on pratique une activité artistique avec des personnes avec qui on n’est plus dans le même rapport. On participe au même projet, on découvre le théâtre ensemble, cette notion de partage est différente du cadre où on doit apporter de l’aide et les bénéficiaires en recevoir. »

Des ateliers théâtre à la scène

À Lille, la Compagnie du Tire-Laine organise des ateliers théâtre aussi. Moyennant une adhésion annuelle à l’association de 5 €, les comédiens amateurs, bénéficiaires du RSA et habitants des quartiers prioritaires, se retrouvent les lundis après-midi, pendant plusieurs mois dans le quartier Moulins à Lille, avant de monter sur scène pour jouer leur pièce.
« Au début, on y va doucement, raconte Claire Des Lyons, la coordinatrice du projet. On fait des ateliers. On travaille sur le corps, la respiration, la mobilité, la souplesse et la voix. » Ensuite, les comédiens en herbe expriment leurs idées, leurs envies. Puis, avec un metteur en scène, ils montent une pièce de théâtre.

Mener un projet de A à Z

« Ils sont acteurs du projet à tous les niveaux, souligne Claire. Ils jouent. Certains créent les décors. D’autres confectionnent les costumes. D’autres encore élaborent l’affiche du spectacle. »
L’atelier théâtre de la Compagnie du Tire-Laine a été créé il y a 16 ans. Et il fait l’unanimité chez les participants. « C’est une parenthèse dans le quotidien, glisse Claire. Ils se vident la tête et oublient les soucis de la maison. On les voit s’émanciper. À la fin, ils sont rayonnants. »
Avec le théâtre, les participants oublient les soucis du quotidien, comme Nicolas 36 ans, bénéficiaire du RSA. « Avant, j’étais très timide. Avec l’atelier, j’ai beaucoup changé. Le théâtre a canalisé mes angoisses. Je m’exprime plus. Je vais vers les autres. Et ça fait un bien fou ! Je me suis aussi lié d’amitié avec les membres de la troupe. On organise des sorties ensemble. »

Paul-Luc Monnier et Rouguyata Sall

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